Traces




Et que voit-on dans ce lit 
Creusé au fil des nuits par nos absences
Tissé, le drap, aux fils des jours
Et le creux des songes 
Comme une trace
Des ans tout entiers de songe séparé
Tenu dos à dos
Ont dessiné
L'empreinte de notre affaire
Et toi, là
Moi aussi, l'observons
S'incruster dans l'ornière de nos raisons d'être
Dans le sillage de cette sorte de mystique
Vaguement démente
Se déposent de petits cailloux comme des dents
Fichées dans la chair
De notre histoire
Partagée au sabre
En deux des pieds
A nos têtes penchées
Sur les rides de cet amour
Un peu hagard mais tiré
Aux quatre épingles de nos sorts mêlés




Juin 2020







Promenade








Tu n'as marché qu'à mes côtés
Tu m'as longée
Tu croyais modeler de tes doigts des formes pour mon ombre
Ravi devant tant de possibles esquisses
Souvent
Tu te retournais
Tentais de m'effacer
Quand le poids de mes estampes pesait trop sur ta nuque
Je n'étais pas qu'un souffle
Et de ça
Tu ne pouvais pas ne pas m'en vouloir
J'étais lourde
Tendue
Arquée aux paradoxes
N'oubliant jamais rien dans le lavis des mots
Toujours distante
Ardente à la réalité
Tu n'as que glissé sur moi
Tu voulais m'adopter
Me rendre aimable
N'entendre dans mes silences
Que l'écho de ta voix
Alors tu m'expliquais
Tu n'as marché qu'à mes côtés
Sans jamais pouvoir imaginer
D'autres points du jour
Que ceux que tu connais
Des aubes figées au temps
Comme des sépulcres
Tu n'as que marché à mes côtés
Sans savoir
Que je t'observais
Te mesurais
Pendant que tu me longeais
Concentrée sur l'écart
Jusqu'à pouvoir tracer tous tes angles
Sous la précision de ce trait
Tu gîs
Désarticulé






9 juin 2019











A l'un l'élu






J'ai attendu
J'avais promis
Assise à mes pieds
Nuit et jour
J'ai observé tomber tes mots
En grappes, en files, en vrac
Qui au sol faisaient un halo
Un son assourdi
Comme une course
Vers un lointain bien loin
Parmi tous les délices
De ta rudesse exquise
Tu tiens
Vaillante contre les médisances
Des métastases âpres au gain
La gorge écarlate
 Endimanchée d'ardeur 
Qu'on te connaît, qu'on te connaît
Pris dans le fil à la patte des hélices
Qui t'aspirent vers d'autres cieux
D'autres espaces
Ruisselant encore des pluies sèches
D'un drôle de don
Attristé sans cesse aussi
Le désespoir est un puits
Où tu nous regardes plonger les effets
De nos manches brodées
De la soie tissée pour toi
Sur ton silence 
Que quelque chose
Encore un moment
Veille à nos soins






Novembre 2018


Hommage à Alain Bashung


"Notre père qui êtes audacieux
Seriez-vous insidieux"


Dans Étrange été











S'en aller






Soudain
Lovée sous le secret des viscères
La route s'est refermée
Les arbres qui la longeaient
Ont un peu baissé les bras
Lovée sous les viscères
L'extrémité close
Le besoin de l'ouvrir
D'aller droit vers des points scintillant d'inconnu
De rouler à n'en plus croire qu'il est des lieux qui dorment
L'envie, le départ
Revenue comme un vent sous les voiles mortes
Un ancien calice attendant dans l'ombre
Epluchant  les signes des anciens testaments
Partir
Emietter comme des idées les côtes
Les îles grasses sur la haute-mer
Les voies d'horizon mal tracés
Où c'est encore nulle part
Partir comme le voeu fait dès la première minute
A la faculté bruissante et cruciale du mouvement





Juin 2015

Pavanes défuntes












Les Pavanes que tu jouais 
Pour moi
Peinaient à franchir l'ambitus
Des tondeuses à gazon 
Mais j'y penchais le buste
Pour boire
Et bien voir dans les frissonnements
De nos bouches humides
Que nous parlions
Quand nous parlions
Je m'effondrais
Sous les infléchis de ta voix
Défunte infante
Au son de tous ces possibles
Yeux mi-clos
Derrière les cordes
Que tu tendais autour de ma couche
Je chantonnais
J'en pleure encore
Parfois





Avril 2017






Les Trains






Réseau de lignes
Réseau de bavardages
Dos au but, le voyage
Le voyage à l'envers
Les voix
Les détails qui ont fondu dehors
Les détails qui chauffent lentement dedans
Livrés au bon vouloir
Des rails
Les petites affaires de migrateurs
Tièdes, rassemblées sous la vigilance sans faille
De la possession
Gâtisme
Hypocondrie
Relaxation
Pharyngite
Danse immobile au creux des vagues lisses de la vitesse
Le wagon suit son fracas
Et nous prend dans sa filature
Dormir
Rêver
Attendre que la voix du voisin s'enfonce
Dans le silence de ce vacarme des aciers qui brûlent
Tant attendu
Départ
Attention
Fermeture des portes sur tout ce qui nous reste
Arrachements
De dos, de face
Partis






Un mois de 2010


Fenêtre





La baie reste ouverte, jour et nuit
Les pouls pondérés battent, la nuque concentrée sur ses ellipses
Tout est doux. Tout est doux
Maintenu frais par l'insatiable curiosité qui déshabille le monde
Les comptes ont été faits, refaits par zèle
C'est là, on est arrivé
C'est là, cette absence d'impatience
La certitude que l'attente n'était qu'une ébauche
Il s'agissait d'y profiler la matière du temps
Les phalanges serrées sur la tâche
Toujours frôlant le presque de l'idée
La baie pourtant reste ouverte, jour et nuit
Du fond des somnolences et des stupéfactions
Résonne encore et pour toujours sans doute
Le petit appel sans objet
La demande vaine et l'éclat qu'elle avait







Avril 2016

Principes












Jour après jour, j'enfoncerai le sommet de mon crâne
Au plus profond de la nudité
Jour après jour, mon ascèse
La vertu cinglante de l'exactitude
Dans l'océan des particules inutiles
Les déferlantes
Je garderai grand-ouverts les yeux sous leur sel
Quoi qu'il en coûte du doux-sucré
Le choix presque gaiement fatal est fait
De défier les illusions et de guetter, discrets
Les scintillements rares des axiomes
S'imposant comme le rythme des peurs sacrées
Le moteur bleu du doute
Rien ne sera jamais pénétrable
Des simulacres de l'Autre
Et de continuer à lui ouvrir les bras
Avec au fond de sa fuite
Le souhait d'entendre un appel
Jour après jour, de loin, j'écoute
Les bâillements de l'ennui sous l'écorce









Avril 2016
















L' endroit













Oh entends, entends ce que j'attends
Une quiétude que les mains aimables auront tissée
Autour de la répétition
L'arrivée au bercail des idées assagies
Laissant au monde sa bave et son envie
Un point d’atterrissage au cœur de l'essai
Mûri, mûri au long cours
Dans les soutes de ma  patience
Je sais cet abouti
De tant d'heures peut-être la fin
Résonnant depuis si longtemps
Au timbre de l'importance
Le dérisoire est ailleurs
Ici les vides sont faits, ici, seule la présence
De celui qui a vu en moi et encore me veut
Prise au fil de l'âge et amusée
J'y suis sans hésiter
Maintenant sans hésiter
Après avoir pesé l’évidence
Une entrave qui ne cèdera jamais à la morsure du temps
Qui me retient liée à mon vieux vœu sacré
La teneur incorruptible d'un tel attachement
L'unique. L'indomptable






Avril 2016










Suspension











Une déchirure sur la toile des destins
Pas regarder à droite
Plus qu'à l'avant
J'attends sans bouger le signe
Le claquement de doigt des appels
Où une fois dans l'éternité, l'autre viendrait donner son courage
Prendre entre les phalanges ses pastels et les mêler aux miens
Qui sait, me dire
Un blanc sur les lignes ombrées de lettres
Une attente à peine viscérale, plutôt tranquille
Comme une baie ouverte sur de longues possibilités
Des coups du sort, des sonneries surprenantes
Quelque chose qui me place
À ma place
Et  j'approuverais
Un manque à savoir
Que faire de moi pour soi
L'annuaire est lourd des occasions possibles
Sans frénésie
Et l'ongle ne pointe que vers l'indécis
Du dessein
Demain, je dis
Demain
Et le jour s'en va et je ne viens pas
Là où on m'attendrait
Parce que je ne la sais pas
La douce attraction des fuites vers l'au-delà








Mars 2016













Poules politiques







Des branches alourdies par l'attente
Des vents arrogants
Un apprentissage difficile de la récolte
Et des mystères endormis dans l'humus
Des aubes rutilantes
Des aubes grotesques
Le silence
Le silence ému par les frottements
Par les ailes impatientes d'oiseaux rares
Le silence qui se déploie
Et celui qui écoute
Une étonnante ligne de renouveau
Disponible à qui veut s'oublier
Sur les râles des mondes épuisés
Fermer la porte
Ne plus compter sur rien que le rythme précis des nuits
Tresser la politique entre les mains de celui qui m'attend
Pour envelopper les rêves de repli
Au matin, traverser la cour craquant de gel
Suivie par le bastion des poules insoucieuses
Gallinacés en or qui aussi attendaient
Innocentes
Et dont j'observe
Comme si je les avais toujours connues
Les vies secrètes





Mars 2016










Bilan





On agitait déjà les menottes
Espérant tracer dans l'indifférence de l'air un signe qui nous accroche
On agitait légèrement les bras pour des étreintes précieuses
Et les têtes pour donner des accords
On avançait à pas comptés
Mis assis, mis debout
Observant un peu à l'arrière
Les flaques, où l'on s'était regardé dans les yeux, avant
On y croyait parce que c'est utile
On avait à craindre peu puisque tout était dit
Des longues pensées amères de l'amour ingrat
On avait suffisamment cicatrisé aux angles
Mais l'eau n'est pas toujours fraîche
Ni les embruns salés au lointain
S'ouvrent l'inutile et l'inachevable
L'espoir dévissé et les savoirs prudents
On dit peut-être pas
On reste aimable
On sait que c'est trop tard
Cette fois
Ce sera encore pour une autre fois





Février 2016








Legs







De battement d'aile en claquement de porte
Les voies d'accès se croisent
Les pistes anciennes ont été abandonnées
Restent encore les traces d'un vieux sang absorbé par l'asphalte
Ce qui se dessine a la forme d'un héritage
J'avais écrit le testament trop tôt
Pas su rassembler ce à quoi je devais prétendre
Pas su défendre ce que je pouvais donner
Je ne savais pas encore lire
Je n'ai pas assez bien refusé
L'insolence de la possession
Sa négligence aussi





Février 2016



Mains au noir








Quelques vagues là-bas
Lignes croisées sur un horizon indéfinissable
J'ai appris à te lancer des mots en silence
Je te lance au loin des mots
Les mêmes qui
  Autour de ma taille flottaient comme une bouée
Contre les noyades renouvelées
J'entends leur chute dans ta mousse
Et puis j'attends
Le fil est tendu, le fil est dur
L'envie de le tenir entre les dents tenace
Je te mesure à l'aune de tes aveux
Ne pas laisser pousser 
Contre les échafaudages transatlantiques
Les liserons de l'anticipation
Laisse-moi m'évaluer
Laisse-moi rassurer mes secrets
L'histoire est exubérante
Ma mémoire saturée
Nous verrons
Nous nous verrons
Sans doute pour mieux nous adopter
Sans se reconnaître
 Condamnés pour toujours à l'étonnement
Entreprendre une nouvelle fois
Les prémisses des balbutiements






Février 2016